«La ‘fée électricité’ peut-elle résoudre la crise climatique?» (6) par Steve Tanner
16 mai 2023
L’électricité doit jouer un rôle considérable dans la transition écologique à la quelle nos sociétés sont appelées. Steve Tanner, ingénieur et président d’A Rocha Suisse, précise par cette sixième chronique (1) dans quel domaine recourir à la « fée électrique » et là où il vaudrait mieux renoncer à cette énergie. A lire et à écouter ici !
Cette sixième chronique a un titre un peu mystérieux : « La ‘fée électricité’ peut-elle résoudre la crise climatique ? » Par « fée », on imagine bien sûr une femme dotée d’une baguette magique qui résout tous nos problèmes. Mais qui est cette « fée électricité » ?
Résumons d’abord le problème : la combustion des énergies fossiles est responsable du réchauffement climatique. Elle doit donc être stoppée le plus rapidement possible. Une autre bonne raison de quitter les énergies fossiles, c’est d’assurer notre indépendance énergétique. La troisième raison, c’est de préparer l’après-fossile, en sachant que l’épuisement de ces énergies est inévitable. Connaissant le temps nécessaire pour changer de système – de l’ordre de 30 ans ! –, il faut s’y mettre sans tarder ! Et on a déjà pris du retard.
Des stratégies de remplacement des fossiles
Pour son énergie, la Suisse dépend encore à 70 % d’importations en énergies fossiles. Cette dépendance doit passer à zéro. Le saut est énorme. Comment y arriver ? Nous pouvons diviser notre consommation d’énergies fossiles en plusieurs parts. Pour chaque part, il existe une stratégie de remplacement. La part la plus importante, nous l’avons vu, de l’ordre de 50 %, va dans la mobilité. Le recours à la voiture électrique permet de nous affranchir des deux tiers de cette première part, moyennant une augmentation importante de notre production d’électricité par le photovoltaïque. La deuxième part, de l’ordre de 40 %, sert à chauffer les bâtiments de toutes sortes. L’isolation des bâtiments et le recours au solaire thermique et à la biomasse permettent de se passer des énergies fossiles pour la production de chaleur. La dernière part, de l’ordre de 10 %, va dans les processus industriels et l’agriculture. Cette part est, avec les transports aériens et routiers, la plus difficile à remplacer.
Dans l’industrie, le pétrole et le gaz ne sont pas brûlés, mais transformés chimiquement, par exemple pour fabriquer du plastique. Ils servent aussi à fabriquer de l’hydrogène, brique de base dans la synthèse chimique pour l’ammoniac, les engrais, etc. Mais on sait fabriquer de l’hydrogène et des hydrocarbures à partir d’électricité, comme nous l’avons vu dans la chronique sur comment décarboner l’aviation (2).
La question du stockage
La « fée électricité » est donc partout ! Ce vecteur universel d’énergie risque de nous manquer si nous l’utilisons à toutes les sauces. Comment sortir de cette impasse ? La « fée électricité » est vraiment ce qu’il nous faut, mais nous devons lui donner un coup de pouce, en garantissant une production suffisante, et surtout en trouvant des moyens de la stocker entre l’été, où elle est abondante grâce au photovoltaïque, et l’hiver où elle est moins produite, mais plus demandée. Pour ne pas augmenter excessivement la demande en électricité et limiter les besoins en stockage, notre pays doit faire les bons choix : utiliser l’électricité en premier là où elle est indispensable, et éviter de l’utiliser là où il existe d’autres solutions.
Bannir l’électricité pour la production de chaleur
De manière générale, il faut bannir l’électricité pour la production de chaleur. La chaleur est une forme basse d’énergie, car le rendement pour la transformer en une autre forme d’énergie est faible. Au contraire, l’électricité est une forme noble d’énergie, car on peut tout faire avec elle… et avec un très bon rendement ! Pour produire de la chaleur, il faut d’abord utiliser le soleil, la géothermie ou la biomasse. Les pompes à chaleur ont ce grand problème : elles ont toujours besoin d’un 25 % d’énergie électrique. Même si leur rendement est bon, elles ne peuvent se passer d’électricité au moment où on en a le plus besoin, et où elle est la plus rare. Si nous évitons d’utiliser l’électricité pour nos besoins thermiques, alors nous en aurons suffisamment.
Dans ce contexte, le stockage de l’électricité est une pièce maîtresse, car l’électricité doit être consommée au moment même où elle est produite. Or, notre « fée » est capricieuse, lorsqu’elle tire son énergie du soleil ou du vent, en fait de sources très intermittentes. Un choix stratégique pour la Suisse est donc de mettre en place l’infrastructure de stockage qui peut atténuer cette intermittence, tout autant sur le court terme que sur la saisonnalité été-hiver. Pour cela, il existe un trio épatant dont nous parlerons dans prochaine chronique : l’hydrogène, le pompage turbinage et la voiture électrique, encore elle. A bientôt !
Steve Tanner
Ingénieur
Président de l’ONG écologique A Rocha Suisse
Notes
1 Lire ou écouter les 5 autres dans l’encadré ci-dessous.
2 Steve Tanner, «Décarboner l’aviation, cette idée peut-elle décoller?», Radio R, 5 mai 2023.
Les 5 chroniques de l’énergie de Steve Tanner, président d’A Rocha Suisse
Voici les cinq chroniques sur l’énergie déjà diffusées sur Radio R :
- Steve Tanner, «La civilisation du soleil…» (1)
- Steve Tanner, «Les énergies fossiles, investissements à risque» (2)
- Steve Tanner, «Pourquoi la voiture électrique va-t-elle s’imposer?» (3)
- Steve Tanner, « Le soleil à la place du mazout pour se chauffer… comment ça marche ? » (4)
- Steve Tanner, «Décarboner l’aviation, cette idée peut-elle décoller?» (5)
Ecouter la chronique « Un R d’Actu » du 12 mai : «La ‘fée électricité’ peut-elle résoudre la crise climatique?» (6) par Steve Tanner.