La Suisse romande, ça existe?

La Suisse romande, ça existe?

Denise Mützenberg

C’était il y a peu sur une terrasse d’un hôtel aux confins de la Suisse. Je lie conversation avec une jeune femme italienne qui manie aussi bien le français que l’anglais.

Elle me demande d’où je viens. – « Genève ! » Sa réaction : « Vous parlez français ! Quelle est votre relation avec la France ? »

Une fois de plus me voici confrontée à la réalité floue de mon identité suisse romande. Ma langue, c’est d’abord celle d’une grande nation voisine. Et dans mon pays, ma culture est souvent ignorée. Ainsi, lors d’un concert en terre romanche dont le propos était de mettre en évidence nos quatre régions linguistiques, le morceau consacré au français fut une œuvre de… Debussy!

Alors, cette Suisse romande deux fois minoritaire, est-ce qu’elle existe? Dans un livre1 passionnant qui vient de paraître, Sylviane Dupuis définit avec finesse ce qui, jusqu’aux années 70, a donné son caractère à la littérature de ce territoire exigu, face à la France laïque: la familiarité avec la Bible. Dans l’enfance de Ramuz, avant l’Odyssée et les mythes grecs, il y a Abraham, Isaac et Jacob côtoyés à l’Ecole du dimanche protestante. Et Chappaz, le Valaisan d’origine catholique, dans son troublant « Evangile selon Judas », écrit : « Au commencement était le Verbe ».

Aujourd’hui, il est vrai que cette influence s’est perdue et le concept même d’une « littérature romande » est controversé souligne l’auteure : les écrivain-e-s de nos cantons francophones sont le plus souvent agnostiques et le Livre, pour beaucoup, semble devenu « lettre morte ».

Pourtant, plus je vadrouille à travers ces cantons où les accents chantent chacun à sa façon, plus j’entends, je vois, je sens, je sais qu’une terre romande est une réalité. Qui a changé, bien sûr, comme le reste du monde. Mais demeure avec son histoire unique et les rencontres qui l’ont façonnée.

Enfin, si le Livre est « lettre morte » pour d’aucuns, la Parole est vivante, elle a des ailes et vole à travers les ondes qui vibrent. Quelle merveille que RADIO R la relaie pour le million et demi de Suisses romands à portée de voix !

Auteur

Denise Mützenberg

Denise Mützenberg au cœur et dans les marges de sa vie. Denise Oberli naît à Yverdon le 3 septembre 1942, 1 heure après sa sœur. De 1958 à 1961, elle fréquente l'Ecole Normale de Lausanne. C'est aussi le temps où elle compose et chante avec sa jumelle des chansons qui expriment leur foi. Puis elle devient institutrice à Lignerolle. En 1964, elle rencontre Gabriel Mützenberg, historien et journaliste à Genève. Elle le rejoint dans la ville de Calvin où ils partageront désormais beaucoup de choses: vie conjugale (ils auront deux fils), rédaction de la revue "Certitudes" (durant vingt et un ans), organisation de week-ends sur le thème "Art et foi" et de rencontres d'écrivains protestants, voyages et activités diverses, autour de la culture rhéto-romane, entre autres... En 1992, elle crée Samizdat, une maison d'édition consacrée à la poésie -avec une ouverture à des publications bilingues- qu’elle anime durant 25 ans avec sa sœur Claire Krähenbühl avant de la remettre en des mains plus jeunes. Mais la passion du livre restant vive, elles inaugurent en 2018 une « cabane d’édition » : les Troglodytes. Dès l'enfance, Denise a écrit dans les marges. D'abord dans les marges de ses cahiers : à 10 ans "Le Fils de la Forêt" - que Claire illustre déjà, comme elle illustrera plus tard les poèmes de sa sœur- puis, entre 12 et 16 ans, "La fièvre de la raison", un roman pastoral. Les deux resteront inédits. Dans les marges de sa vie, elle a publié une quinzaine de recueils de poésie et de nouvelles.

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