En ce moment

Titre

Artiste

Emission en cours

Emission en cours

Background

Jacques Buchhold plaide l’usage du Notre Père pour soi-même et dans l’Église

27 octobre 2022

Le Notre Père souffre d’un désintérêt certain. À la fois dans la spiritualité personnelle de nombre de chrétiens, à la fois dans leur vécu communautaire. Le théologien Jacques Buchhold tente de remédier à cela au travers de la publication de « Méditation sur le Notre Père ». Au micro de Radio R, il montre l’actualité et la profondeur de la prière que Jésus a enseignée.

« Dans beaucoup d’Églises actuellement, on ne prie plus du tout le Notre Père ! » Jacques Buchhold est assis autour d’une grande table chez lui à Sélestat en Alsace. Il tient entre ses mains « Méditation sur le Notre Père », un petit livre qu’il a publié en 2021, et qui vise tant à expliquer le Notre Père à partir des deux versions de l’évangile de Matthieu (6.9-13) et de Luc (11.1-4) qu’à montrer sa pertinence pour aujourd’hui.

 

Parce que Jésus nous l’a enseigné !

L’ancien professeur de Nouveau Testament à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine en région parisienne s’insurge donc contre l’abandon de cette prière tant au niveau individuel que communautaire. Il considère que le Notre Père est plus que jamais d’actualité pour le chrétien du XXIe siècle ! Tout d’abord parce que Jésus-Christ, lui-même, l’a enseigné. À des disciples qui priaient trois fois par jour comme tous les « bons Juifs » de l’époque et qui souhaitaient néanmoins savoir comment prier, il propose « une proximité avec Dieu étonnante, une simplicité dans la façon de parler à celui qu’il considère comme son Père ». Pour Jacques Buchhold, le Notre Père fait partie de cet « enseignement fondamental » dont parle l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains (Ro 6.17) et qui devait être appris par tous les disciples de Jésus au Ier siècle. Et donc encore aujourd’hui !

 

Le « patron » de nos prières

« Dans nombre d’Églises, on réagit contre tout ce qui est « liturgique » ou texte écrit préparé à l’avance, poursuit Jacques Buchhold. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles cette prière enseignée par Jésus n’est plus priée aujourd’hui ! » Le théologien évangélique peut comprendre pareil ressenti, et son parcours, des Églises luthériennes aux Églises baptistes, a été marqué par cette méfiance à l’endroit des formes écrites de prière, ressenties comme lues et un peu vides, et par un certain abandon du Notre Père dans le cadre du culte. Aujourd’hui toutefois, alors qu’il vit une retraite paisible en Alsace, il plaide pour une réhabilitation de cette prière dans la piété personnelle et dans le cadre du culte. Notamment parce que le Notre Père peut faire office, pour reprendre un mot du monde de la couture, de « patron » à partir duquel notre propos de priant peut être modelé et construit.

« La spiritualité n’est pas quelque chose qui se fabrique par hasard, lance le spécialiste du Nouveau Testament, selon le bon plaisir des uns et des autres, tout comme la vie chrétienne n’est pas quelque chose que l’on va chercher au supermarché en choisissant tel ou tel ingrédient. Dans le domaine de la spiritualité, nous ne sommes pas laissés à nous-mêmes. Jésus nous donne un patron qui devrait gouverner notre vie de prière et notre relation à Dieu. »

 

Une prière où le disciple se prêche à lui-même

Avec sa structure en trois parties, le Notre Père propose les têtes de chapitres de ce que nous pouvons demander librement au Père dans notre relations tant personnelle que communautaire. Après un appel à la souveraineté de Dieu et à sa toute-puissance comme fondement de notre prière – « Notre Père, qui es aux cieux » –, le disciple de Jésus se décentre et fait place à son espérance : la sanctification du nom de Dieu, la venue du Royaume et l’instauration de la volonté du Seigneur. « Ces trois premières requêtes nous placent dans le programme du Père pour l’humanité et la Création tout entière. Elles expriment quelque chose qui n’est pas. Les trois suivantes renvoient à nos besoins immédiats en matière de nourriture, de pardon et de lutte contre le mal. »

En priant ainsi, le disciple de Jésus se prêche à lui-même. Il n’est pas une sorte d’observateur détaché de la sanctification du nom de Dieu, de la venue du Royaume ou de la concrétisation de la volonté du Seigneur. Non ! Il inscrit ces priorités dans sa propre vie et cela devrait motiver son existence entière. L’espérance véhiculée par les trois premières demandes engage donc le chrétien. « On n’espère pas quelque chose qui ne nous intéresse pas, commente Jacques Buchhold. Au contraire, ce que j’espère, c’est ce que j’aimerais vivre. Si je prie ainsi, c’est que dès aujourd’hui je vais essayer de faire ce que Dieu veut dans tout ce que j’entreprends. »

 

Une prière pour cette création

Pour Jacques Buchhold, prier le Notre Père aujourd’hui, c’est aussi important pour développer une spiritualité incarnée. Dans l’histoire du christianisme, il y a selon lui deux formes de spiritualité : « Premièrement une spiritualité de fuite où toute la démarche consiste à sortir de cette création, à monter vers Dieu et à devenir un peu comme lui, et, secundo, une spiritualité orientée vers cette création. »

La Réforme du XVIe siècle a réagi contre la spiritualité de la montée vers Dieu qui traverse une partie de l’histoire chrétienne, et qui n’est pas sans analogie avec un certain paganisme. Des Martin Luther, Ulrich Zwingli ou Jean Calvin affirment qu’il n’y a qu’une seule création. « Et il ne faudrait pas penser que Dieu veut mettre cette création à la poubelle ! lance le spécialiste du Nouveau Testament. C’est cette création-ci que Dieu veut restaurer, que Dieu veut sauver. Et le Royaume qui vient n’est pas un autre Royaume que celui qu’il a établi lorsqu’il a créé le monde. Seulement, ce Royaume sera libéré du péché et de la mort ; ce sera une création qui portera la marque de la Résurrection. »

Pour Dieu, le problème n’est pas cette création ou notre humanité, c’est notre péché. En priant les trois premières requêtes du Notre Père, le disciple ne demande pas au Père de le libérer de son humanité, mais de la restaurer et de l’affranchir du péché. Dans une perspective protestante, « Dieu est devenu homme, rappelle Jacques Buchhold, afin que l’homme puisse devenir pleinement… humain ! » Et non pas Dieu !

 

Le rappel que le Royaume est à venir !

Prier le Notre Père dans le secret de sa chambre ou en Église est aussi d’actualité pour éviter toute conception triomphaliste de la vie chrétienne. « Je suis quand même frappé, relève Jacques Buchhold, par les tentations de notre monde évangélique de faire comme si une juste spiritualité impliquait que la guérison et la prospérité matérielle étaient déjà d’actualité pour le peuple chrétien. » Le Notre Père a pour vertu de rappeler au travers de ses trois premières requêtes que le Royaume de Dieu n’est pas encore là. Toutes les promesses que Dieu fait dans sa Parole ne sont pas encore accomplies. « Le monde de la résurrection sera certainement un monde où la pauvreté n’existera plus, mais aujourd’hui elle existe encore ! Aujourd’hui, de nombreux chrétiens souffrent de la guerre… Nous ne sommes pas encore dans un moment de l’histoire où l’Église règne sur le monde ! » Et ce théologien évangélique de se dire « troublé » par ces disciples de Jésus qui s’engouffrent dans des conceptions de la vie chrétienne où la victoire serait déjà là !

Dans un tel contexte, prier le Notre Père revient à ancrer la foi dans la réalité concrète de notre monde et à tenter de la subvertir au travers de la dynamique du Royaume de Dieu. « Certaines choses sont déjà acquises, d’autres pas, complète Jacques Buchhold. Parmi les choses acquises, il y a l’Église qui est le lieu où doivent se vivre les réalités du Royaume, qui sont comme des arrhes ou des anticipations de ce qui est à venir. Et cela, le Notre Père nous l’apprend : ‘Notre Père qui es aux cieux…’ »

Serge Carrel

Note
1 Jacques Buchhold, Méditation sur le Notre Père. La prière modèle à laquelle Jésus nous a soumis, Charols, Excelsis, 2021, 160 p.

 



La traduction du Notre Père de Jacques Buchhold (Matthieu 6.9-13)

Notre Père qui es aux cieux,

Que soit sanctifié ton nom,
Que vienne ton royaume,
Que soit ta volonté,
Comme au ciel, aussi sur la terre.

Donne-nous aujourd’hui notre pain de demain,
Et remets-nous nos dettes comme, nous aussi,
nous avons remis à ceux qui ont des dettes envers nous
Et ne nous conduis pas dans l’épreuve-tentation, mais délivre-nous du Malin.

(Car à toi est le Royaume et la puissance et la gloire, pour tous les temps. Amen !)

 



Radio R a réalisé deux émissions « Un R d’Actu » avec Jacques Buchhold autour de son livre
Méditation sur le Notre Père. Elles peuvent être écoutées ici.

La première émission.

 

La seconde émission.


Les opinions du lecteur

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *