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Pour Claude Baecher, le Sermon sur la montagne est une manière de confronter le mal en faisant le bien

20 janvier 2023

 

Les fameux « Heureux » de la Bible, la prière du « Notre Père », l’histoire de la paille et de la poutre ou celle du fou qui construit sa maison sur le sable et du sage qui la construit sur le roc… Tous ces éléments marquent notre culture et sont issus d’un discours de Jésus : le Sermon sur la montagne. Spécialiste de ce discours, Claude Baecher, pasteur mennonite et docteur en théologie, a présenté le Sermon sur la montagne dans une émission « Un R d’Actu » sur Radio R (1). Échos.

« Ce qui est au cœur du Sermon sur la montagne, c’est avant tout une manière de confronter le mal en faisant le bien ! » Claude Baecher est pasteur et théologien mennonite. Spécialiste francophone du Sermon sur la montagne (Matthieu 5 à 7), cet Alsacien d’origine a enseigné, écrit et prêché abondamment sur ce fameux discours de Jésus (2).

Après une dizaine d’années de pastorat en Suisse romande, successivement à Lausanne, Lavigny, puis à Genève, il est de retour en Alsace pour y passer sa retraite. Plus que jamais, il continue à se dire passionné par ce discours de Jésus qu’il considère comme une collection de paroles, plutôt que comme un sermon à la forme rhétorique « hyper soignée ».

 

La vie de Jésus en illustration

Pour Claude Baecher, le Sermon sur la montagne, notamment les fameuses antithèses du chapitre 5 de l’évangile de Matthieu, ne peuvent se comprendre qu’avec à l’esprit l’ensemble de la vie de Jésus. « Ce discours renvoie à ce que Jésus a pratiqué tout au long de son existence, explique-t-il : un amour qui va jusque dans la vulnérabilité de son être et jusqu’à la croix. Et cet amour est le reflet de la générosité du Père céleste, qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes. »

Dieu est généreux. A l’image du Seigneur, le disciple de Jésus n’a pas à se comporter selon la règle du donnant-donnant, mais il est invité à afficher un comportement bienveillant à l’égard de chacun-e. « Fondamentalement, nous sommes faits pour aimer, explique Claude Baecher, pour refléter un Seigneur qui est un Dieu d’amour. » Et cela va jusqu’à aimer son ennemi, celui que notre groupe social diabolise et taxe d’« ennemi ».

Face à la guerre en Ukraine, Claude Baecher aime rappeler que confronter le mal en faisant le bien est une vaste et importante question, toujours d’actualité. « Il y aura toujours des guerres à une plus ou moins grande proximité de l’endroit où nous vivons. L’important, c’est de voir que les guerres sont souvent des batailles d’ego, qui ne disent pas leur intention profonde et leur volonté de s’accaparer les biens d’autrui. » Jésus n’a pas vécu d’un amour sans relief. Il n’a pas fait qu’acquiescer à ce qui se disait. Au travers de sa proclamation du Règne de Dieu, il a confronté les puissants de son temps en révélant l’injustice et leur hypocrisie. Jusqu’au bout il a cru dans la possible conversion des cœurs, y compris ceux de ses ennemis. « Il s’agit de privilégier une chose que Dieu aime par-dessus tout : la bonne entente et la réconciliation à laquelle Jésus a travaillé. »

 

Une espérance pour la vie concrète

Outre des pistes par rapport à la confrontation avec le mal, le Sermon sur la montagne véhicule aussi, pour Claude Baecher, une espérance. Pas uniquement pour la vie après la mort, mais pour la vie réelle. Dans les contingences de ce monde-ci, avec ses pauvretés de tous ordres : la colère à l’endroit du prochain, la convoitise du conjoint d’autrui, la violence dans les relations… Cette espérance, on la perçoit d’abord dans les fameux « Makarioi » (« Heureux ») qui ouvrent le Sermon sur la montagne et qui soulignent que la présence de Jésus à nos côtés change la vie et ouvre à l’espérance. Mais cette espérance est aussi présente à la fin des antithèses lorsque Jésus souligne que l’éthique relationnelle est possible parce que « notre Père céleste est parfait » (Mt 5.48). La perfection du Père généreux incite à ouvrir de nouveaux horizons afin de réaliser les potentialités du Règne de Dieu.

« Notre société a besoin de voir des femmes et des hommes de tous les âges vivre quelque chose de cette réalité nouvelle inaugurée par le Christ au travers du Sermon sur la montagne. » Claude Baecher en est convaincu : l’Évangile qui se déploie au travers de ce discours de Jésus est une force de vie concrète. « La crédibilité du christianisme dépend de cette mise en pratique. Sans signes posés dans le relationnel, les paroles que les chrétiens diraient en annonçant l’Évangile n’ont que peu de crédits. Jésus n’a jamais voulu dissocier un style de vie d’un message à annoncer. Les deux sont à tenir ensemble. »

 

Une observance de disciple

Face à la pluralité des interprétations du Sermon sur la montagne, Claude Baecher plaide pour une approche « christoséquente », qui cherche à marcher dans les pas du Maître et qui prend au sérieux ses paroles et leur mise en pratique concrète (3). Le Sermon sur la montagne n’est donc ni au premier chef un discours qui cherche à convaincre de péché et à susciter le repentir, ni un propos que seul Jésus aurait accompli, ni un discours éthique réservé à une élite de chrétiens, des pasteurs ou des spirituels d’une communauté ou d’une Église donnée. Le Sermon doit être mis en pratique concrètement. « Quand Jésus nous demande de pratiquer quelque chose, il est sérieux : il pense que c’est praticable par la grâce de Dieu ! »

Un examen sommaire de l’histoire de l’Église fait rapidement monter un malaise par rapport à la manière dont nombre de chrétiens ont été à mille lieues de pratiquer un tel enseignement. Claude Baecher invite à accueillir ce malaise. « Mais il n’y a pas que cela, tempère-t-il. A droite et à gauche, dans tel ou tel courant d’Église, on trouve des femmes et des hommes qui ont pris au sérieux ce message évangélique et qui ont proposé des microréalisations qui valent la peine d’être vues et racontées. Si la chrétienté a abusé de la grâce à bon marché – en bénissant des canons et même des guerres ou en érigeant des bûchers –, il y a dans ce texte évangélique une force de vie capable d’apporter de la guérison dans des sociétés qui, même religieuses, peuvent se pervertir. »

 

Le mouvement « Bruderhof »

Au nombre des microréalisations qui valent le détour, Claude Baecher aime citer le mouvement « Bruderhof » (« Ferme fraternelle ») qui vit le jour en 1920 en Allemagne sous l’impulsion d’Eberhard Arnold et qui a ses racines dans le mouvement anabaptiste. Théologien très marqué par la méditation et la réflexion sur le Sermon sur la montagne, Eberhard Arnold fonda avec son épouse et sa belle-soeur des communautés de vie « Bruderhof » : une première en Allemagne, puis une deuxième au Liechtenstein en 1934, quand les persécutions nazies se firent de plus en plus fortes, dans un pays à la botte d’Adolphe Hitler. Expulsé d’Allemagne en 1937, le mouvement « Bruderhof » s’établit en Angleterre, puis au Paraguay pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, ce mouvement qui cherche à développer un mode de vie simple et à s’inspirer de la vie communautaire des premiers chrétiens, compte plus d’une vingtaine de communautés dans cinq pays : Angleterre, États-Unis, Australie, Allemagne et Paraguay. Il rassemble quelque 2’700 personnes.

Dans ses présentations du Sermon sur la montagne, Claude Baecher ne manque pas une occasion d’inciter à la lecture du livre d’Eberhard Arnold : « Sel et lumière. Vivre le Sermon sur la montagne » (4). Téléchargeable gratuitement sur le web, cet ouvrage propose toute une série de contributions, espacées dans le temps, de ce théologien qui a tenté de répondre au désarroi et aux errances de son époque, dans une Allemagne de l’après-Première Guerre mondiale et dans celle de l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Eberhard Arnold décède en 1935 suite à une opération. Il aura rappelé l’importance d’une vie ancrée en Christ et soucieuse de vivre au quotidien le Sermon sur la montagne dans un cadre communautaire.

Dans ses interventions publiques, Claude Baecher renvoie aussi volontiers au livre « Quand le pardon transcende la tragédie » (« Amish Grace » dans sa version américaine) (5). Ce récit-témoignage raconte comment des amish en Pennsylvanie réagissent à une tuerie dont ils sont victimes. En 2006, un forcené entre dans l’école de Nickel Mines et tire sur dix fillettes : cinq sont assassinées et cinq grièvement blessées. Face à cette tragédie, la communauté amish dessine une réaction qui tente de mettre en œuvre l’amour de l’ennemi et de confronter le mal en faisant le bien.

« Contrairement à ce que l’on pense souvent, souligne Claude Baecher, le centre de l’Évangile de Jésus-Christ, ce n’est pas le pardon ! Le pardon est un moyen et pas un but. Le centre du message de Jésus, c’est une société nouvelle, une société guérie qui s’appelle le Règne de Dieu ! »

Serge Carrel

Notes
1 Ecouter l’émission « Un R d’Actu » sur Radio R : « Jésus et le Sermon sur la montagne » avec Claude Baecher.
2 Claude Baecher a réalisé une série de 18 émissions TV autour du Sermon sur la montagne. Coproduites par DieuTV et le FREE COLLEGE, elles sont disponibles gratuitement pour les groupes de maison et l’approfondissement personnel, avec des fiches d’animation.
3 Parmi les interprétations du Sermon sur la montagne qui prônent une approche « christoséquente », on peut mentionner les livres de : Cédric Chanson, Chrétien tout entier. Suivre Jésus au quotidien (Dossier Vivre 45, Saint-Prex, Je sème, 2021, 128 p.) ; John W. Miller, Le Sermon sur la montagne pour aujourd’hui (Dossier Vivre 38, Saint-Prex et Montbéliard, Je sème, Éd. mennonites, 2015, 112 p.) ; Christophe Paya, Comprendre Matthieu 1-13 aujourd’hui (La Bible et son message, Charols, Excelsis, Edifac, 2013, pp. 85-165) et John Stott, Matthieu 5-7, Le Sermon sur la montagne (Charols, PBU, Grâce et vérité, 2013 2e, 240 p.).
4 Pour télécharger gratuitement le livre d’Eberhard Arnold, Sel et lumière. Vivre le Sermon sur la montagne (Robertsbridge, Plough, 2017, 252 p.). Plough, la maison d’édition des communautés du Bruderhof, propose en traduction française et téléchargement gratuit d’autres livres d’Eberhard Arnold : Individualisme et misère du monde et La révolution de Dieu. La communauté, la justice et le Royaume à venir notamment. A noter aussi plusieurs livres de personnalités de réveil : comme Jean-Christophe Blumhardt et son fils Christophe.
5 David Weaver-Zercher, Donald B. Kraybill et Steven M. Nolt, Quand le pardon transcende la tragédie, Charols, Excelsis, 2014, 296 p.

Ecouter l’émission « Jésus et le Sermon sur la montagne » avec Claude Baecher:

 


Jésus et l’amour des ennemis

« On n’est pas conditionné pour pratiquer l’amour des ennemis » (1). Lorsqu’il évoque ce commandement du Christ – « Aimez vos ennemis ! » (Mt 5,44) –, Claude Baecher se rappelle volontiers d’où il vient. « Lorsque je n’étais pas catéchisé par l’Évangile, je donnais volontiers un coup de poing en retour. C’était assez naturel chez moi ! »

Aujourd’hui, même s’il ne se fait pas d’illusions sur les violences qui habitent toujours en lui, le théologien mennonite se dit conscient du fait que cet enseignement du Christ s’enracine d’abord dans un désir résolu de refléter dans sa vie individuelle la générosité et la miséricorde d’un Dieu qui fait luire le soleil et pleuvoir sur les bons comme sur les méchants (Mt 5.45). « Cela s’apprend par une mise en pratique quotidienne de l’amour-agapè, cette bienveillance vis-à-vis d’autrui. Toute personne est image de Dieu, relève-t-il. Et cette bienveillance se développe si on se laisse imprégner par cette immense ‘bombe’ que renferme cet enseignement de la Genèse. »

Il ne suffit pas de dire un oui enthousiaste à ce programme. C’est une histoire d’entraînement. Il y va d’une véritable discipline spirituelle qui passe par la prière. « Jésus propose une culture de la non-violence, du refus de diaboliser autrui. Le fait de prier me dispose autrement, et, petit à petit, on en arrive à considérer autrui différemment et à poser des actes susceptibles de désarçonner la personne que l’on considère comme son ennemi. »

Dans ce contexte, Claude Baecher aime se rappeler du propos de Dietrich Bonhoeffer, célèbre pasteur résistant au nazisme, exécuté par le régime à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Dans la prière, nous avançons vers l’ennemi, nous nous plaçons à ses côtés, nous sommes avec lui, près de lui, pour lui, devant Dieu… Nous nous chargeons maintenant de sa détresse et de sa pauvreté, de sa faute et de sa perdition, et plaidons en sa faveur devant Dieu… Toute persécution ne servira qu’à rapprocher l’ennemi de la réconciliation avec Dieu, qu’à rendre l’amour plus invincible » (2).

Pour Claude Baecher, il y a là plus qu’une discipline spirituelle. « C’est une marche avec le Ressuscité, dans l’espérance de poser des signes de vie dans un monde qui se pourrit de l’intérieur, si chacun marche selon son ego contre le prochain. »

Notes
1 A écouter dans l’émission « Jésus et l’amour des ennemis » dans « Un R d’Actu » sur Radio R.
2 Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple. Le prix de la Grâce, Genève, Labor et Fides, 2009, p. 121.

Ecouter l’émission « Jésus et l’amour des ennemis » avec Claude Baecher:

 



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