«Déconstruire: pour le pire ou le meilleur?» par Robin Reeve

Dans sa « Chronique du Vendredi » dans « Un R d’Actu », Robin Reeve, professeur d’Ancien Testament à la HET-PRO de Saint-Légier, jette un regard original sur une démarche qui traverse actuellement nombre de milieux chrétiens : la déconstruction. Découvrez un propos qui salue la déconstruction et qui la… déconstruit !

On parle beaucoup de déconstruction ces temps. Face à une culture patriarcale qui opprime les femmes de diverses manières, allant jusqu’au viol et même aux féminicides ; face au racisme et à diverses discriminations, beaucoup de gens désirent (à raison !) renverser les traditions mauvaises qui, malgré des progrès législatifs, ont encore des effets nocifs.

Si la déconstruction a ses militants, elle a aussi des opposants chez les divers partisans d’une société dite « traditionnelle ».

Une diabolisation qui creuse des fossés

Le débat est passionné : chacun brandit des slogans simplistes et des exemples extrêmes pour diaboliser « ceux d’en face ». Ce qui ne convainc que les convaincus ; et, malheureusement, éloigne les indécis et modérés, effrayés par la violence de la polémique.

Si les chrétiens pensent échapper à ces turbulences, ils se trompent. Dans le monde protestant évangélique auquel j’appartiens, un nombre croissant de croyants prônent la « déconstruction », voire se nomment désormais « ex-évangéliques ». Face aux scandales de nombreux abus sexuels de la part de responsables spirituels ; face à un fondamentalisme misogyne, qui voue à la malédiction quiconque n’adhère pas à sa lecture simpliste et réductrice de la Bible ; face au mélange de la foi avec le militantisme politique partisan, bien des croyants prennent leurs distances.

La « déconstruction » de certains d’entre eux va jusqu’à contester la pleine inspiration des Écritures, l’idée que Jésus ait subi à la Croix la sanction de nos péchés, ou enfin les repères éthiques révélés dans la Bible.

De part et d’autre du débat, on brandit des versets de la Bible hors contexte ; on résume la foi à des slogans réducteurs ; on classe ses opposants dans des catégories extrêmes et forcément négatives ; on évoque de mauvaises expériences pour condamner sans nuance les opinions des autres…

Renouer avec Jésus, déconstructeur !

Que penser, alors, de la déconstruction ? Osons une réponse nuancée. La révélation biblique est elle-même une déconstruction : elle critique et corrige les visions du monde au sein desquelles elle est née ; elle conteste les repères spirituels et éthiques d’une société humaine corrompue par le mal.

Jésus est ainsi venu déconstruire la manière de penser de diverses écoles du judaïsme de son temps. L’apôtre Pierre écrit aux chrétiens d’origine païenne : « Vous avez été rachetés de la manière de vivre dépourvue de sens que vous avaient transmise vos ancêtres… » (1 Pi 1.18). Et l’apôtre Paul de son côté affirme : « Nous renversons les raisonnements et tout obstacle qui s’élève avec orgueil contre la connaissance de Dieu » (2 Corinthiens 10.4-5). L’Évangile nous invite ainsi constamment à « déconstruire » les traditions et les valeurs mauvaises de notre société.

Mais – et il y a un mais ! – le motif central de notre existence n’est pas la déconstruction. La raison qui doit guider notre remise en question est notre désir de suivre et d’imiter le Christ. C’est bien parce que nous nous tournons vers Dieu que nous nous détournons des idoles – pour reprendre la description que Paul fait de la conversion des chrétiens de Thessalonique (1 Thessaloniciens 1.9).

Bâtir sur l’Évangile

Si nous « déconstruisons » une idole, sans être portés par le désir de bâtir notre existence sur Jésus, à l’écoute de sa Parole, nous érigerons une autre illusion – comme le juge Gédéon qui, ayant commencé sa carrière en détruisant le poteau sacré de son père, l’a finie en construisant une idole, pour le malheur d’Israël (Juges 6.25-27, 8.27).

Alors, osons déconstruire, mais seulement parce que nous bâtissons notre vie sur l’Évangile que nous a révélé Jésus !

Robin Reeve (@Houahava)
Professeur HET-PRO, Saint-Légier

Écouter la « Chronique du Vendredi » de Robin Reeve :