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Christophe Hahling, avocat de la justice restaurative en milieu carcéral

26 janvier 2022

Il est pasteur dans l’Église évangélique méthodiste de Metz. Christophe Hahling a été pendant plus de 20 ans aumônier dans plusieurs prisons de France. Il voit dans la justice restaurative un complément nécessaire à la justice pénale rétributive, afin d’inscrire les détenus et leurs victimes dans une dynamique relationnelle, orientée vers la restauration et la guérison. Afin que le shalom biblique puisse trouver un lieu d’expression dans la gestion de nos conflits (1).

En quoi la justice restaurative a-t-elle renouvelé votre ministère d’aumônier de prison ?
La mise en pratique de la justice restaurative change le regard sur les gens, en l’occurrence sur les détenus. La personne que l’on visite en prison n’est pas qu’un individu qui a commis des délits et qui doit être catalogué sous telle ou telle rubrique : voleur, délinquant, violeur, criminel… La justice restaurative permet de prendre en compte le fait que le détenu est aussi une personne avec une histoire, un vécu, une famille, des sentiments… Cette personne a aussi du bien en elle, même si elle a commis un méfait et qu’elle est tombée. Il est donc important de permettre à un détenu d’être restauré dans sa manière d’être et d’avancer.
Pour les victimes, c’est aussi important qu’un tel chemin puisse être parcouru. Souvent lors d’un procès pénal, les faits sont racontés. On explique comment le délit ou le crime a été commis. Puis il y a le dialogue avec l’accusé et cette personne ne dit pas grand-chose. Puis vient le jugement… et c’est tout ! Souvent, la victime ne comprend pas pourquoi l’auteur du méfait lui a fait cela, à elle.
S’il était possible à l’auteur du méfait d’exprimer des regrets à la victime en disant qu’il n’aurait pas dû faire cela, qu’au moment du méfait il se trouvait dans un état de découragement et de déprime, et que cela a entraîné son passage à l’acte, la victime ou sa famille pourrait concevoir que le coupable n’est pas un « simple criminel », mais que c’est aussi une personne qui a malheureusement dérapé. La victime ou les gens autour d’elle pourraient peut-être aussi envisager d’être restaurés pour avancer.

Là, j’imagine qu’il faut vraiment y aller comme si on marchait sur une sorte de « terre sainte »…
Tout à fait… Il s’agit d’avancer avec beaucoup de doigté, et de connaître pleinement la vérité et les raisons pour lesquelles cela s’est passé… Après de grands drames comme le génocide du Rwanda en 1994 ou la période de l’apartheid en Afrique du Sud, des Commissions vérité et réconciliation ont vu le jour. Elles s’inscrivaient dans cette dynamique de justice restaurative. Découvrir la vérité est important. Il faut que l’on sache ce qui s’est passé et pourquoi cela s’est passé…
En somme, la justice restaurative regarde vers l’avenir, alors que la justice pénale regarde vers le passé : « Voilà ce qui a été commis et cela mérite tant comme peine ! » La justice restaurative dit : « D’accord, il y a cela qui a été commis, il faut punir. Mais ensuite la personne peut encore avancer. Il y a encore un avenir pour elle. »

Opposez-vous justice pénale rétributive et justice restaurative ?
Non, ces deux formes de justice ne sont pas à opposer. Elles sont complémentaires. La justice pénale doit passer. Il y a des crimes qui ont été commis. Ils doivent être punis. C’est clair et net ! En général, la justice restaurative intervient après le procès. Ce n’est pas une justice laxiste. Il ne s’agit pas que l’auteur du crime ou du délit calcule son coup. Et qu’il se dise qu’il va être gentil et faire ceci ou cela pour voir sa peine diminuer. Non ! Ces deux formes de justice sont complémentaires.

Pratiquement, avez-vous eu l’occasion de mettre en œuvre cette justice restaurative avec des prisonniers dont vous vous occupiez ?
Directement, je n’ai pas participé à des programmes de justice restaurative, mais je peux vous raconter une expérience que j’ai vécue dans une prison de l’est de la France où une personne incarcérée d’origine turque était en cellule avec un compatriote. Ce dernier détenu ne parlait pas trop bien le français. Le détenu avec lequel j’avais du contact m’a demandé si je ne pouvais pas aider son collègue et faire éventuellement quelque chose pour qu’il puisse s’amender. Cet homme que l’on prénommera Ali était en prison parce qu’il avait trop bu dans un mariage ou une fête. À la fin de la soirée, il avait pris sa voiture et roulé sur l’autoroute à contresens. Ce faisant, Ali avait provoqué un accident malheureusement mortel. Une personne était décédée et une autre était maintenant handicapée à vie. Toutes les nuits, Ali se levait, tournait en huit dans sa cellule et se torturait les méninges : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Comment réparer ? » Ali était père de trois enfants.

Qu’avez-vous proposé à Ali ?
Je lui ai proposé d’écrire une lettre qu’il pourrait ensuite envoyer à la partie civile. S’il ne voulait pas ou ne pouvait pas être en contact direct avec la partie civile, il pouvait envoyer cette lettre à son avocat qui, ensuite, pourrait l’envoyer à l’avocat des victimes. Dans cette lettre, il pourrait dire qu’il regrette profondément ce qu’il a fait, qu’il ne voulait pas être impliqué dans cet accident… Ali m’a demandé de l’aider.
En rentrant à la maison, j’ai essayé de formuler quelque chose sur un papier avec une citation du Psaume 51. Il s’agit d’un psaume où le roi David, qui a commis beaucoup de méfaits, formule une demande de pardon à Dieu. Confronté à son délit et même à son crime, il dit : « Je t’ai désobéi, je le reconnais : ma faute est toujours là, je la revois sans cesse. C’est contre toi seul que j’ai mal agi, j’ai fait ce que tu désapprouves… » (Psaume 51.5-6). J’ai repris les paroles de ce psaume dans la lettre que j’ai proposée à Ali. Il a pu l’envoyer à son avocat en y ajoutant certains éléments de son cru.

D’où vient la notion de justice restaurative ?
Elle a deux origines. D’abord une compréhension du principe de justice dans la Bible, en particulier dans l’Ancien Testament. Cette conception a été mise en avant par des mennonites au Canada et aux États-Unis. Ils ont étudié la notion de justice dans la Bible. Celle-ci n’est pas seulement une justice pénale et rétributive, mais aussi une justice qui peut apporter la guérison, la restauration et même le salut. Cette justice contient aussi une dimension de compassion. Les mots pour la justice, employés en hébreu, puis en grec, déploient donc une conception beaucoup plus vaste que la seule justice qui punit quelqu’un qui a commis quelque chose de mal.
Derrière cette notion, il y a un concept-clé : celui de paix, de shalom comme on dit en hébreu. Cette notion est comprise de manière beaucoup plus sociale et beaucoup plus relationnelle que ce que l’on comprend parfois dans nos milieux et dans notre spiritualité. Si on comprend la justice comme ce shalom biblique, ça change le regard sur la justice, y compris sur celle que nous vivons aujourd’hui en Occident.
La seconde source ou racine de la justice restaurative se trouve dans les sociétés premières : les Amérindiens, les Maoris en Nouvelle-Zélande, les Aborigènes en Australie. On retrouve aussi cette notion de justice dans le concept d’Ubuntu en Afrique. Lorsqu’il y avait un méfait qui a été commis, lorsqu’il y avait un conflit, autrefois on réunissait les personnes concernées : l’auteur du méfait, les victimes et la communauté ou le village, pour gérer la situation avec toutes les personnes touchées.

Il y a un auteur qui a rendu populaire cette notion de justice restaurative…
Il s’agit du mennonite Howard Zehr. Auteur du livre traduit en français La justice restaurative (2), ce photographe de métier pensait qu’il fallait changer de lunettes dans notre regard sur la justice. Pour lui, la justice ne devait plus être considérée uniquement dans une perspective d’infraction à des codes de loi, mais comme une blessure infligée à des personnes. Ces personnes, ce ne sont pas seulement les victimes directes, mais ce sont aussi les membres d’une communauté plus large qui ont souffert des conséquences du méfait commis.

En France ou en Suisse, la dynamique de justice restaurative n’est, semble-t-il, pas très développée. Vous êtes allé en Angleterre pour goûter d’un peu plus près à ce que cela pourrait apporter…
Je me suis rendu à trois reprises, trois lundis de suite, au sud de Londres, dans une prison, pour découvrir un programme de justice restaurative qui se déroule sur six sessions d’un après-midi. J’ai donc assisté à trois sessions sur six. Ces sessions accueillaient une vingtaine de participants, à la fois des détenus et des facilitateurs du programme « Sycamore Tree » de la Fraternité internationale des prisons (3). Ce nom vient de l’arbre – un sycomore en français – sur lequel Zachée est monté (Luc 19.1-10).
Cette histoire est particulièrement intéressante, parce que Zachée, une fois qu’il a rencontré Jésus, a été transformé. Il affirme qu’il va rendre le quadruple à ceux qu’il a volés… Cela montre que l’on peut changer après une telle expérience. Ces rencontres du programme « Sycamore Tree » commencent donc par l’histoire de Zachée. C’est en Angleterre, dans un contexte où il est possible de lire la Bible dans une prison laïque… Ensuite, les détenus sont amenés à prendre conscience de ce qu’ils ont fait, des effets de vagues qu’ils ont générés. Une victime vient ensuite dans une des sessions dire ce qu’elle a vécu. Cette intervention parle souvent aux détenus et ils prennent conscience qu’ils ne se rendaient pas compte que, en ayant volé ou commis un cambriolage chez quelqu’un, par exemple, cette personne pouvait être traumatisée pendant des années. Ensuite, l’auteur du méfait est invité à réfléchir et à chercher une manière de tenter de « réparer ». À la sixième session, certains détenus ont écrit des poèmes, ont fait un dessin ou ont essayé de faire quelque chose pour réparer. Ils signalent ainsi qu’ils veulent changer et aller de l’avant.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que, du point de vue statistique, les personnes qui participent à des programmes de justice restaurative récidivent moins…

Il y a donc un impact positif dans la réinsertion de ces détenus…
Ce n’est pas systématique. Ce n’est pas magique, mais cela peut aboutir à une réduction de la récidive… Et ça, c’est quand même formidable !

Comment voyez-vous l’avenir de la justice restaurative en France ?
Depuis 2014, il y a une loi qui a été promulguée grâce à une commission à laquelle j’ai participé et à l’origine de laquelle se trouvait la Fédération protestante de France. Cette loi autorise et encourage la pratique de programmes de justice restaurative. De tels programmes existent déjà dans certaines juridictions.
Le programme « Sycomore » a aussi commencé en France. Il y a même des responsables nationaux du système judiciaire qui se montrent assez favorables à cela. Cela commence à venir !
Pour les délinquants routiers, il y a aussi de tels programmes après la prison. Le but est de leur permettre de réaliser ce qu’ils ont fait. Cela évite aussi la récidive dans différents domaines. À mon sens, ce type de justice a de l’avenir… Mais bien sûr, toujours en parallèle avec la justice pénale !
Pour terminer, je dirais que ce qui est le plus parlant et même « prophétique », dans la justice restaurative, c’est qu’elle est un moyen, un outil (pas le seul, bien évidemment) pour arriver à ce qu’on appelle « le bien vivre ensemble », ou « la paix sociale », une sorte d’apaisement et d’harmonie, dans notre société si individualiste et violente, ce que la Bible appelle tout simplement le shalom. Et cela pourrait également être appliqué au milieu scolaire, dans le monde de l’entreprise, ou même dans les relations de voisinage.
Propos recueillis par Serge Carrel

Notes
1 Cette interview est la reprise de l’émission « Un R d’Actu » du 13 janvier sur Radio R. A écouter ci-dessous.
2 Howard Zehr, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, Genève, Labor et Fides, 2012, 104 p.
3 Plus d’infos sur ce mouvement.

Ecouter l’émission « Un R d’Actu » avec Christophe Hahling, pasteur et aumônier de prison à Metz (F).